D'un voyage à Lorgues (Var), en avril 2023. — Sur la rocade de Nîmes saturée, comme souvent, par le trop plein du trafic, lorsque le conducteur impatient, pris dans une circulation par à-coups abrutissante et fastidieuse, cherche un dérivatif..., découvert la chanson d'Elvis Presley One-sided love affair. — Je la tenais en réserve depuis plusieurs années, enregistrée sur un CD, mais elle m'était passée à côté. Cette fois, elle m'a littéralement frappé, plu, amusé, conquis. L'interprétation en est ardente, intense (Pourrait-il en être autrement s'agissant d'Elvis ?) et l'ensemble loufoque (cas non unique chez cet interprète aux styles variés, aux inspirations diverses et parfois contradictoires). — L'amour sous la métaphore d'un contrat commercial...
Good understanding et fair exchange sont garanties de no robbery. La chanson vante la réciprocité comme donnant-donnant et transforme l'amour en transaction équitable. Principe du donner-recevoir : If you know you can't take it, well baby, why try to give it ? Il me semble que ce credo si fortement proclamé pourrait être la prestation survoltée (le boniment endiablé) d'un marchand de camion à friandises nouvellement converti à la loi du commerce appliquée à tout, rempli de sa conviction, de sa foi authentique, emporté sans remède dans la trépidation machinique d'un monde moderne alors au sommet de sa puissance. Triomphe d'une foi aussi simpliste que sûre d'elle (sans mécanisme de correction ou de rappel vers une doctrine plus pondérée).
Plus tard, j'écoutais One-sided love affair en boucle sur les petites routes zigzaguant parmi les pins et les chênes blancs du sud-est de la France. Environnement colonisé par la ferveur pavillonnaire et la loi du chacun chez soi, selon des principes d'aménagement correspondant à une variété mythologique plus morose et moins assurée (avec — écho servile d'un américanisme sécuritaire et pourrissant — les inévitables panneaux installés aux entrées des lotissements : Voisins vigilants). Mentalité incertaine bien caractéristique de notre époque, héritière épuisée de cette ère d'apothéose où coïncidèrent le triomphe de la société de masse, l'extase de la consommation et les débuts ondoyants d'Elvis Presley (personnage multiforme et polysémique, en quête perdue d'unité, secrètement travaillé par l'angoisse et la dualité).
Cette chanson pourrait être comparée à d'autres (associée à Blue Suede Shoes comme produit d'une inspiration loufoque dans l'extase de la société marchande) et située dans le répertoire riche et contrasté du rockeur exemplaire (Reluctant rebel, selon les termes d'un des nombreux essais biographiques qu'il inspira)... au carrefour des contradictions. (Les contradictions politico-existentielles, les errances dans les choix d'identité, l'aspect souverain initial et la décrépitude finale... ne sont pas sur le même niveau que les contrastes dans l'inspiration : par exemple, le masochisme appuyé de Heartbreak Hotel et ponctuel de Blue Suede Shoes versus l'agressivité d'autres chansons. Des liens entre les deux niveaux — réel de la carrière et de la vie, fictionnel des chansons — pourraient toutefois être recherchés.)