Je ne suis pas douée pour la compassion. Je vois les choses au présent. Je ne cherche pas sous la surface. Si tu n'es pas immédiatement opérationnel je ne t'accorderai aucune grâce, aucun délai supplémentaire. Je ne suis disposée à aucun effort de compréhension. Je veux être payée au comptant. Mon regard ne fait pas crédit. J'ai très peu d'imagination. Je ne suis pas charitable. Je n'ai aucun sentiment de culpabilité qui me porterait à racheter autrui pour me racheter moi-même. Je ne vois que les évidences. Les subtilités m'échappent. Je ne m'intéresse qu'aux contenus manifestes. Je me désintéresse des contenus latents. Je suis affectée d'une certaine paresse affective. Mon affectivité est assez lourde à déplacer. Je ne suis pas portée à compléter les formes inachevées. Si tu n'es pas apte aujourd'hui à tracer un dessin de toi qui me donne envie de te suivre, tire toi-même un trait avant que je ne tire moi-même le rideau. J'attends qu'on me livre sur un plateau des nourritures substantielles. Hier, entre onze heures et midi, j'ai fait chauffer mes jambes au soleil. Quel temps fait-il aujourd'hui ? Je n'ai pas encore mis le nez dehors. Tu es encore là. Tu es parti. Je n'ai plus de nouvelles de toi depuis plusieurs mois. Cela faisait des semaines que je n'avais pas pensé à toi. Tu n'étais pas l'homme de la situation. Aujourd'hui, j'ai reçu des nouvelles de toi. Cela ne m'a pas dérangée. J'étais sur le point d'oublier ton nom. Des nouvelles indirectes. Je ne fonctionne qu'en direct. Le téléphone sonne. L'heure tourne. Le temps passe. — Les sédiments se déposent sur les surfaces exposées au vent et recouvrent le brillant originel d'une pellicule plus terne que je laisse à d'autres le soin de décaper.
Certains ou certaines loupent le coche par défaut d'audace, manque de présence d'esprit, auto-censure, respect des convenances, confort jugé préférable. — L'occasion perdue va se loger dans la boîte des regrets éternels.
Ils ou elles ont depuis appareillé sur un autre bateau, le seul qui prenait encore des passagers.
Afin de ne pas troubler l'illusion de leur bon choix, ils ou elles prennent garde de tenir bien scellée la boîte des regrets éternels.
— Mais du coffret fermé s'échappe parfois (de préférence lors de certains quartiers de lune)
un chant lointain et lancinant.
Sans qu'ils ou elles y prêtent attention, les regrets éternels viennent les hanter de leur voix ténue
mais pénétrante, comme un chant subliminal.
Ils ou elles n'en reconnaissent pas la provenance, et c'est à peine s'ils ou elles l'entendent,
mais ils ou elles en éprouvent de curieux maux d'estomac qui les rendent (lors de certains quartiers de lune) étrangement lunatiques et parfois même féroces.
qu'il valait mieux épouser sa voisine qu'une étrangère. — Ça me laissait songeur et disposé à le croire.
Des façons d'en laisser en dessous, une manière de fragilité et de faire avec — de s'en faire une raison sans trop s'y arrêter —, de composer avec l'incertitude — quant à la manière dont les autres la considèrent et quant aux intentions dont elle est l'objet —, un art de maintenir en elle quelque chose de tu, de laisser glisser sur elle les propos et les propositions qu'elle ne peut — ou ne veut, ou ne doit pas — accueillir. Laisser glisser... à moins que... ces énoncés — ces propos et ces propositions — ne deviennent par trop irrespectueux, ou trop cumulativement amoindrissants, auquel cas elle s'insurge, ce qui surprend.
Ce qui lui est dit et qui ne s'accorde pas spontanément avec sa disponibilité intérieure mais auquel ses défenses n'opposent pas d'emblée leur imperméabilité, elle le laisse fermenter, germer, se révéler en elle, à son propre rythme, en secret. Elle laisse décanter. Par un processus mystérieux, elle saura plus tard ce qu'elle peut — ou veut, ou doit — en faire, ou bien, tout compte fait, le rejettera sans décret ni déclaration, et sans avoir toujours une claire conscience du métabolisme qui aboutit à séparer le bon grain de l'ivraie. Le point de rupture intervient — se précipite — lorsqu'un niveau de désagrément — malaise d'amour propre ou désaccord moral — est atteint et — sans espoir d'amendement prévisible — perdure et se répète. Elle laisse alors tomber en pure perte — s'en détache en le faisant passer par pertes et profits, le congédie pour solde de tout compte — ce qui — incompréhensible, inacceptable ou par trop dépareillé — s'est révèlé inintégrable. Son organisme repousse dans un coin ou évacue l'objet refusé, transformé en statue de sel et réduit à s'effriter.
Au quotidien, elle ne ferraille pas sabre au clair. Elle argumente peu son point de vue, elle est peu polémique. La force qu'elle déploie dans l'activité — où elle se montre disponible, opiniâtre, organisée dans la synthèse, appliquée dans le détail — est toujours, en même temps, une manière d'assumer une modestie (une bonne volonté de novice ?) face à des instances plus affirmatives qu'elle et plus volumineuses, mais qui, le cas échéant, s'épuiseront en voulant la convertir, tomberont de haut en ayant cru la soumettre.
sortes de femmes. Celles qui trouvent cela inquiétant, celles qui trouvent cela intriguant.
En vertu de la vérité très certaine et cruciale dans l'approche de toute monade humaine selon laquelle chacun et chacune est composé de plusieurs personnalités ou parties de personnalités non forcément complémentaires mais souvent contradictoires — chacune de ces personnalités étant susceptible de prendre le dessus pour un temps et selon les circonstances (circonstances déterminées par la paix des organes, par leur dérangement ou par des facteurs périphériques que je me dispense pour l'heure de rechercher) —, il est possible d'affirmer, en complément à l'assertion précédente, qu'à certains moments une telle sera davantage portée à réagir à la survenue d'un événement ou au surgissement d'un détail plus ou moins incongru — inhabituel — par un mouvement de recul inquiet alors qu'en une autre occasion la même (mais quand même différente) répondrait à la même (rigoureusement identique) proposition par un éveil intrigué.
Néanmoins, dans l'ensemble et sans négliger les fluctuations aléatoires ou cycliques de leur disponibilité, de leur disposition, de leur inclination, certaines femmes sont davantage sensibles aux tentations aventureuses, quand d'autres tendent à vouloir maîtriser les écarts aux connotations même lointaines d'inconvenance, à calibrer la rareté non soumise aux standards, à refouler l'étrangeté à double entente, à repousser l'ivraie du risque au détriment d'un bon grain sans garde-fou. Ces dernières sacrifient ainsi les frissons secrets, ensevelissant sous le ciment du réalisme (du conformisme) les filons dorés. Elles trouvent la formule de l'Ecclésiaste : « Rien de nouveau sous le soleil » conforme à leur souhait quand pour l'auteur du texte biblique il s'agissait d'un constat désenchanté.
Si l'on qualifie de crainte auto-protectrice la tendance à réagir par l'inquiétude et si l'on nomme audace celle qui consiste à trouver du charme à ce qui intrigue, la population ne se répartit pas si simplement entre ceux et celles marqués par L'Audace et ceux et celles soumis à La Crainte. Car, à moins de relever du type casse-cou impénitent et autre risque-tout inconséquent ou d'appartenir au contraire au type absolument inhibé, devant certaines surprises une première personne se montrera audacieuse là où une seconde prendra peur, mais un malaise pourra fort bien glacer la première dans un cas où la seconde gardera tout son calme et peut-être même sentira son métabolisme se réchauffer par effet de stimulation.
L'esprit d'aventure devant l'incongru ressemble à la gourmandise. S'il existe des gourmands intempérants et des ascètes inébranlables, on trouve aussi des appétits électifs et sélectifs, selon l'humeur et les circonstances.
dit qu'elle va bien sans que nul ne le lui demande, il y a de fortes chances qu'elle n'aille pas si bien.