NOTES :
[1] Vu l'usage des écrits de Duchamp dans la suite,
je rappelle que celui-ci élargit
ou détourne le sens de
célibataire et désigne ainsi
un être
coincé dans les ornières fastideuses de la redite.
EXTRAPOLATION :
Célibataire, celui qui se
place en situation de satellisation
béate vis-à-vis de l'objet de son désir. Curieux modèle
d'idéalisation de l'autre ; partie d'un monologue narcissique
où on n'écoute que soi ;
posture pesante et impuissante,
hors de tout vrai dialogue pour définir
ensemble le scénario d'une relation.
Cette EXTRAPOLATION, ses points d'appui dans le texte de Duchamp :
les célibataires, leur maladresse :
"La Mariée (...) refuse (...) l'offre brusquée des célibataires."
(Boîte verte - partie 8)
les célibataires, leur monologue narcissique :
"Moules mâliques. (...) un miroir
leur aurait renvoyé leur propre complexité au point de les halluciner assez
onaniquement."
(Boîte verte - partie 7)
les célibataires, leur posture impuissante, répétitive :
"- Buttoir de vie
- Vie célibataire considérée comme rebondissement alternatif sur ce buttoir"
(Boîte verte - partie 11)
(^^ Extraits des notes de 1911-1915, à l'origine
fac similées à 300 ex.
et recueillies, en 1934, dans autant de boîtes vertes –
édition courante)
La mariée mise à nu par ses célibataires, même —
Le grand verre ; La boîte verte
Le drame imaginé par Marcel Duchamp met en
scène l'échauffement en vase clos d'un
désir érotique peinant à réduire la distance qui le sépare de l'objet convoité.
Le thème se présente sous l'apparence d'un mécano cybernétique.
Machine
célibataire. Cette image convient aux
projets trop soumis à leur formulation initiale,
insuffisamment plastiques, oublieux des ajustements nécessaires pour maintenir un
rapport fertile avec le présent et avec l'autre.
Le désiré (qu'il soit un être ou un enjeu plus général) est figé dans son statut
d'objet
par le désirant.
Celui-ci se moule induement dans une identité de sujet exclusif
(sur-actif mais selon une formule rigide, trop sûr de son objectif, ordonnateur de la
distribution des rôles).
Est une machine célibataire
celui qui, en psychanalyse ou en politique, dans la réalisation cinématographique ou dans la conversation..., néglige
systématiquement de se mettre dans le rôle de l'objet, s'ampute de toute composante passive, n'accepte pas de déplacer son centre de gravité.
Gravité ?
Aux côtés de la Mariée et
des Célibataires,
la gravité est un éminent centre d'oscillation dans le Grand Jeu du Verre.
Cf. "manieur de gravité,
"jongleur de gravité",
"soigneur de gravité"
et autre tabouret au long cou.
Contrairement aux deux autres, cette figure
apparaît seulement dans les notes et sous forme de croquis.
Jean Suquet
lui a consacré un livre : Épanouissement ABC (L'Echoppe 2001).
Cette entité justifie encore
la lecture de cette
œuvre comme miroir d'une cure.
Je
n'ignore pas ...
Une mauvaise santé des célibataires est au cœur de l'histoire.
Sur la scène-ring du drame, "Soigneur" se rapporte à un combat de boxe. Mais ce terme est aussi, tout simplement, synomyme de thérapeute.
(Comme la plupart des termes employés il provient d'un jeu d'ondes -
"l'écart est une transformation"
(Boîte verte - partie 1) -, il résulte
d'une vibration sémantique et terminologique produisant à son tour des échos en chaîne)
Au moins deux autres formules se réfèrent à la maladie.
L'une est
employée par Duchamp lui-même :
"Etant donné que je sois souffrant beaucoup..."
(c'est dans cette formule qu'apparaît pour la première fois le syntagme
Etant donné -
bien que griffoné à l'époque de la conception de la Mariée,
il ne figure pas dans la Boîte verte - voir Jean Suquet 2001).
L'autre est
une intéressante rustine herméneutique suggérée par le bouillonement
philologique et imaginatif de Jean Suquet.
Il s'agit du calembour "Guéris donc !"
On ne sache pas que Duchamp ait employé ce terme (guéridon), mais c'est bien à
l'objet
ainsi désigné que ressemblent (plus qu'à un tabouret) les quelques croquis qu'il a tracés du
"manieur", "jongleur",
"soigneur".
Ici
,
une image de l'Autel du Soigneur de Gravité
["... (d'après Duchamp), exécuté par Delanglade et les Mattas"].
Autel du Soigneur de Gravité. Cette construction fut réalisée à
l'occasion de l'exposition
surréaliste de 1947 – Elle comble une lacune du Grand verre – avec retard, mais celui-ci
n'était-il pas qualifié de
"RETARD EN VERRE"
dans une note écrite 30 ans plus tôt ? (Boîte verte - partie 7)
Prolongement spatial, temporel, et plus.
L'auteur (aussi différent que possible d'un solitaire dans sa tour d'ivoire, homme de partage, irréductiblement indépendant mais au cœur de mille échanges) exporte son copyright ; il délégue à des amis le soin de continuer
sa création (anti-célibat oblige), il les invite à l'enrichir de leurs apports.
La Mariée mise à nue par ses célibataires, même : exemple
éminent d'œuvre
ouverte -
antidote au fonctionnement célibataire !
Dimensions de l'ouverture
Déplacements, décalages
La qualité d'ouverture provient principalement des
procédés de glissement
sémantiques et terminologiques (et des spéculations relatives à de
complexes réfractions géométriques) qui
convoquent un univers aux ancrages incertains, mouvants, réversibles
(étranges mais non flous, même si ma compréhension en est parfois incertaine).
Un régime écologique impossible
pour les célibataires, un enfer où ils n'ont d'autre issue que de périr ou d'opérer
une mutation salutaire.
(pour une ébauche de nosographie du hasard
nomographe,
voir...)
Le verre
L'ouverture provient aussi du
support utilisé. Le verre produit
im-médiatement
transparence et réflection. Les spectateurs et le
lieu d'exposition font figure de
fonds multiples et mouvants devant lesquels les figures peintes
se présentent et avec lesquels elles
se fondent.
Les reflets (en avant-premier-plan) ne gênent pas mais
s'intègrent à l'objet.
Ce matériau se justifie aussi par son aptitude à
représenter jeux de
reflets,
effets de projection, de masquage, de transparences et effets multicouches matérialisés
ou figurés.
Ces recherches participent de la démarche signalée ci-dessus : une projection,
un reflet, c'est un glissement,
un décalage
(du pareil au presque même, mais néanmoins différent).
Évocations de dispositifs optiques : un peu partout dans la
Boîte verte - mais
notamment dans parties 7, 18, 22.
Une affinité du verre avec l'imprévu est aussi sa propention à se casser.
Ce fut le cas, et l'occasion pour Duchamp d'absorber cette figure de l'aléa, tout simplement en recollant les morceaux.
Inachèvement
Figure ultime de l'ouverture : l'inachèvement et la capacité subséquente à se ramifier.
Apothéose et réussite
dialectique :
un inachèvement qui parachève la qualité
recherchée, ou du moins adéquate à un désir non réductible au projet ; car les
plus belles réussites ne sont pas celles
qui résultent d'une stratégie omniscente, mais celles qu'un mélange
taoïste d'activité et
d'indifférence pernettent.
Il est vrai aussi...
Suite, autre page, haut...
A propos, voici une page d'initiation intéressante vv
toutfait.com/ issues_1/ ...
[2] L'Autre (ou grand Autre)
- concept lacanien,
apparenté au surmoi
freudien. C'est le tuteur fantasmatique, le Maître imaginaire
d'un moi soumis, satellisé, hétéronome, pour
l'amour et au nom des valeurs
duquel la petite personne excessivement inquiète fourbit ses objectifs et ses
ambitions.
[3]
Les expressions mises en blanc, sont extraites
des notes de Duchamp. On peut les retrouver dans le texte
La boîte verte,
au sein du recueil Duchamp du signe
présenté par Michel Sanouillet (Champs-Flammarion).
[4] Est-ce de cela qu'il s'agit lorsque Lacan affirme :
"Ce n'est que de la place de l'Autre que l'analyste peut recevoir l'investiture du
transfert
qui l'habilite à jouer son rôle légitime dans l'inconscient du sujet..." ?
(La psychanalyse et son enseignement - dans
Ecrits I )
[5] ... comme instituants du cadre d'écoute, dans une régularité propice
au dénouage,
élimination des mauvais plis et ravaudage des étoffes constitutives de l'histoire que l'on
se
fait de soi.
|
Le corbillon
n'est pas le réceptacle de toutes les curiosités d'un individu.
Ce site à demi spécialisé gravitera autour de quelques rubriques. — Micro-politique,
agitation de rapports intra et inter-individuels (égoscopie, alterégoscopie), investissement des horizons proches
(relevés du quotidien, critique du paysage).
L'internationalisme et l'obsession des super-globalités sont parfois
déréels. — Sauf exception, les enjeux centraux de société et de politique générale seront
discrètement mis de côté (mille excuses pour l'imprécision de cette phrase). — Peu de place ici pour ces points importants. —
Des questions de civilisation (lesquelles ?)
seront abordées, à partir de focalisations restreintes
— et à partir de questions posées, par exemple, à l'espace urbain.
Modestie des ancrages. Je capte je..., aborde d'autres. Imminence d'un et
d'autres je... nouveau nous...
moments de dépit (sans répit) et constats de tristesse face à la dictature du sourire.
Le champ social artistique contemporain m'afflige globalement et sans exception. — S'il arrive que je considère des questions
que on appellerait d'art, c'est que pour moi elles se sont pas d'art mais d'agitation de ma vie et de la votre peut-être.
Renoncer à une facilité de langage
et considérer le mot art comme un mot toxique (et/car doxique)
ne revient pas à dévaloriser les enjeux esthétiques ni à mépriser les jeux
sur les symboles, les représentations, les sensations, les perceptions et les points de vue.
Il s'agit au contraire de débarrasser les pratiques
expressives d'un concept vaseux qui les fige en répétition mimétique et les enrôle en
décorum.
Il n'y a (n'y aura) d'art que pompier
Il ne s'agit plus de raviver ou de ramifier l'art, mais de déclarer nuls pour l'avenir
ses pompes et son concept.
Disant cela je me désintéresse pas pour autant
des imaginations stylisées, des perfections imaginaires, réalistes ou fantastiques, des
désordres rédempteurs
qui restituent l'ordre à un niveau supérieur. — J'aime la monumentalité tout comme le bonheur furtif d'un éphémère sans prix,
la perfection d'un évanouissement,
la désinvolture qui produit, dans une économie de moyens, l'impact le plus affirmé.
J'apprécie les
trangressions et les télescopages entre espèces d'objets en temps normal étrangères, situées
ordinairement dans des univers séparés mais que voici réunies, au prix d'une judicieuse aberration, à la faveur d'une trappe à malices et sortilèges.
Je ne privilégie ni le nouveau par rapport à l'ancien ni le contraire. — Je ne discrédite aucun canal de perception, aucun type de dispositifs, pas plus ceux qui
impliquent une réception sans participation que ceux qui appellent la participation sous quelque forme que ce soit.
Je guette toutes les expressions, quel que soit leur statut d'intentionnalité : celles qui surgissent dans l'espace ordinaire (les bars ou les cuisines), celles que produit pour nous le gigantesque poème involontaire de la nature, celles issues de pratiques et de lieux spécialisés (bureaux, studios, ateliers).
Arthur Rimbaud : « Le lieu et la formule »
La créativité au sein de ces sphères de jeux,
la possibilité d'inventer de nouveaux jeux et de combiner plusieurs jeux et enjeux, se porteront d'autant mieux qu'une manière
créative de de les nommer et de les invoquer prévaudra ou, à la limite,
qu'une attitude indifférente aux pressions à situer toute choses dans des cases préconçues
oubliera de les spécifier. —
Ne pas spécifier c'est s'ouvrir à des
singularités sans les référer à des espèces. Mais un objet non-spécifié reste-t-il un objet ?
Soit un objet extrait du magma (dissocié de l'indistinct des fonds sans motifs ou des motifs sans fond),
si sa spécification n'est pas donnée avant elle
se fera sans doute après, à l'heure des commentaires.
L'utiliser comme cale sous un pied de table c'est le spécifier autrement. L'exposer
sur une étagère c'est le spécifier comme esthétique ou mémoriel ou selon certaines
valeurs ou caractères non utilitaires.
Suite à cette réflexion,
une nouvelle catégorie d'actions expérimentales pourrait
être conçues et mises en pratique
: les actions spécifiées à posteriori.
Qu'un raffraîchissement conceptuel s'impose ou qu'un refus de l'étiquetage lui soit
utopiquement opposé, le champ artistique doit être déserté, ses institutions
référentielles et satellitaires abandonnées aux faux empesés en quoi elles
transforment tout ce qui se détermine en fonction d'elles.
Conditions de l'innocence
Les pratiques expressives et esthétiques peuvent s'inscrire
dans l'innocence et la subversion, s'étayer dans une écologie sociale, une économie,
des connexions et des recoupements libérés. — Mais pour cela elles ont besoin de se
désafillier
par rapport à l'institution artistique — et le mot art n'est pas l'agent le moins actif de
ce fastidieux contexte culturel.
L'idéologie de l'art affecte
production et réception
Le respect de l'idéologie artistique a pour fondement un désir de respectabilité. — L'art est pompe
et décorum, outil de promotion. Il donne de l'aura aux individus et aux institutions, il conforte l'assise des dominants, dans l'intention de
hausser ou de maintenir leur valeur symbolique sur le marché.
Dans la presse, le 11 octobre2012 :
« Mais l'art et la culture, c'est la création. Ce sont des éléments essentiels du rayonnement de l'économie, de l'attractivité et de la compétitivité de la France. » —
Aurélie Filippetti, ministre de la culture.
Les
Échos ^^ Voir aussi : La machine
molle, sur la désignation de Marseille Capitale européenne de la culture.
Expressivité d'une œuvre et contexte d'actualisation
Que ce soit dans une galerie d'art ou lors des
grandes expositions d'État
(avec les inévitables unes que Télérama ne manque pas de leur consacrer),
le phénomène est le même. Par le pouvoir du média sur le médiatisé,
un contexte pompier rend pompiers même
des peintres ou autres
qui ne l'étaient en rien au départ. —
Le fait d'être présentés et enrôlés malgré eux dans ce cérémonial les parasite et les instrumentalise dans une ostentation qui n'était pas forcément dans leur intention. — Les spectateurs sincères et purs doivent alors tenter de dégager les pièces exposées de leur encombrant
décorum, contexte et discours accompagnateurs. Ils doivent les
abstraire d'un viol symbolique.
Particulariser les appellations
Pour se débarrasser du problème on dira que peu importe le nom, ce qui importe c'est la pratique. Ceux qui croient
cela évacuent l'effet déterminant, façonnant, du fliligrane et des balises. Une donnée essentielle des sociétés actuelles est le pouvoir des identités sur les réalités et des noms sur les
choses.
Hors pratiques sans nom qui sont un autre nom du paradis, produire le nom de sa pratique, ou choisir de manière éveillée
un nom non-imposé — sans le clamer comme un vendeur qui
vanterait l'étiquette au lieu du fruit — est favorable à toute pratique créative et déterminante
Privilégier des appellations classiques (peinture, musique) moins mystifiées
qu'art me semble une solution — À la rigueur aussi, qualifier le mot art par
un adjectif qui en réduise la vanité et en précise la compétence (art culinaire, art d'aimer). — Mais ces précautions ne dispensent pas d'un effort conceptuel afin de définir (de nommer) des intentions
ad hoc et des pertinences de saison.
Dans mon petit corbillon qu'y voit-on ? (suite)
Politique gramaticale : la préférence est donnée à un singulier.
D'où : défiance vis à vis des articles définis au
singulier (Le et La)
lorsqu'ils n'ont rien de défini et encore moins de singulier,
mais n'ont pour résultat qu'une généralisation emphatique. —
Évité également (de préférence) : le on dans lequel le
je
se réfugie
pour avaliser son opinion par le consensus
d'une fausse unanimité.
Le je dispose ici de toutes ses prérogatives.
Dans la difficulté et le désir d'un nous, il
représente la force de
la ma quelques fragiles réactions vitales .
Dans un contexte où domine l'idéologie instrumentale
des solutions express,
la psychanalyse peut faire figure de résidu utopique, naïf et
irréel. Comparée aux techniques
médicamenteuses ou
dites comportementales, la psychanalyse est alors à la gauche du champ social.
Mais il arrive aussi qu'un cadre psychanalytique frustre des projets plus radicaux que lui. Ce cadre
peut alors apparaître - à un moment du parcours - trop adaptatif, manquant de souffle et d'esprit d'aventure. Il est alors à la droite du champ
du sujet. — C'est de cela dont j'ai voulu, respectueusement, sincèrement,
et au risque de maladresses, témoigner dans la lettre que je reproduis ci-dessous vv.
Voici quelques nouvelles,
en souvenir
d'une expérience importante bien que partiellement
décevante. Décevante en regard des attentes que j'y avais mises et du possible
qu'elle recelait. Des résultats furent tout de même entrevus, et en partie atteints...
Ces deux années avec vous furent une étape dans un mouvement de non-mort, dans une
recombinaison de postures de vie, dans la compréhension de certains mécanismes, dans
la réappropriation enfin d'une histoire individuelle et collective.
Comme vous voyez, ce n'est pas rien. Si échec il y eut il n'est que relatif,
et un acquis est certain qui m'est précieux et contribue aujourd'hui à ce moi que je suis.
Même si mon expérience avec vous ne correspond pas à ce que vous considérez comme une analyse normale ou aboutie, je vous assure que le voyage a été salvateur à l'issue de longues années de coulage, et d'un bénéfice durable !
Mais comme je vous l'ai dit au cours de l'une de mes dernières visites,
je pense avoir fait avec vous - et avec la psychanalyse telle qu'elle existe de nos jours
et en nos contrées - ce que j'avais à faire. Comme j'en ai fini avec vous
j'en ai fini avec les psychanalystes.
Je vous crois plutôt bien qualifié dans votre art, par conséquent m'adresser à quelqu'un d'autre me mènerait au mieux à
comparable à vous, et probablement à moins bon que vous.
Vous m'avez permis de réaliser un certain parcours, vous ne m'avez pas permis d'aller plus
loin.
Quelques raisons à une impasse
Vous n'avez pas prêté, selon moi, assez de véritable attention à toutes mes véritables
problématiques. Après deux ans et demi de parcours psychanalytique, j'affirme être dans
une conscience et une maîtrise d'un bon nombre de mes problématiques - logiques
d'embourbement et logiques de sortie du bourbier. De manière plus dynamique, je dirai que
j'ai instauré certaines dispositions comme projets nécessaires et désirables.
Lorsque
j'ai cru me comprendre sur certains points mieux que vous ne le faisiez, lorsque j'ai
constaté que vous étiez peu disposé à élargir votre lecture, il était plus
sérieux
que je parte.
Partir participait du principe de réalité.
Je n'exige pas la perfection, je reconnais le droit à l'erreur.
J'ai laissé du temps pour vous permettre de vous redisposer comme je le croyais nécessaire, pour vous permettre de me suivre et éventuellement, chemin faisant, s'il advenait que votre vision soit plus claire que la mienne, de m'éclairer sur ce qui me restait obscur. Par ailleurs, vous avez eu tout loisir de me faire sentir que je faisais carrément fausse route si tel était le cas. Je ne suis pas parti sur une impulsion. Même après avoir cessé de trop compter sur vous, de trop
attendre de vous, j'ai continué à venir chez vous pendant plusieurs semaines.
Je vous alors ai dit mon intention d'aller vers une fin prochaine, de cesser bientôt de venir vous voir. Sortant de votre forte posture de silence habituelle - parfois complétée par quelques interventions
très contenues et généralement formulées sous forme de questions -, vous avez cette fois
objecté à mon intention d'interrompre.
Ce fut sans doute la seule fois où vous m'avez opposé une objection explicite.
Votre intervention bien que portée par une urgence ne m'en est pas apparue vivante pour
autant. Ce jour-là, vos mots ont encore renforcé à mes yeux votre image de normativité
langagière et conceptuelle. Vous n'avez pas semblé dévier
de votre lecture trop généraliste, c'est à dire provenant de présupposés
polyvalents dans lesquels au fond vous me faisiez entrer, en dépit de votre ouverture
apparente manifestée précisément par votre peu de manifestations, par votre silence et
votre patience.
Vos rares manifestations explicites vous montraient animé par quelques idées fixes, pas forcément inutiles mais de peu de pertinence à l'instant
t. Je ne vous ai pas vu adopter une approche plus en accord
avec les singularités du moment. J'avais auparavant espéré que vous le feriez,
que vous vous montreriez prêt à un ajustement de votre point de vue. J'ai eu parfois assez d'utopie pour espérer vous voir disposé à vous redisposer.
De semaine en semaine, j'ai dû me rendre à l'évidence de la profondeur du désaccord.
En accord avec moi-même, la décision de conclure s'est imposée.
Oui mais, quelques raisons à une impasse !
Vous vous êtes finalement référé à une norme de l'analyse pour m'inviter à rester. Vous en
avez appelé à l'analyse du "transfert" et à celle de la sexualité comme
nec plus ultra, comme voie normale, comme route unique à deux voies royales.
Auparavant, il avait été question de problématiques familiales sur lesquelles s'est
durcie entre nous une pomme de discorde. Vous m'avez sidéré de sembler si peu me comprendre,
et de prétendre aller à ma rencontre avec dans la tête des pages de manuel passe-partout. Je me souviens de votre insistance au fond à me fixer dans un drame
½dipien rendu aigu
du délire d'une mère et de la disparition d'un père. Vous avez souligné l'absence d'un
tiers séparateur entre une mère omniprésente et moi. Mais un tiers séparateur a été
constitué par le motif même du drame : la folie de ma mère. Folie d'un principe de
réalité extrémiste et par là même au fond totalement irréel. Sans nier le drame
½dipien,
j'ai fait appel à une clé intellectuelle pour renverser la domination maternelle, dans une
critique exercée à l'encontre d'une nullité intellectuelle d'autant plus grande que sa pose
était prétentieuse. La violence de mon opposition à ma mère doit très secondairement à la
force d'un amour inversé, si tant est qu'elle lui doive quelque chose,
mais prioritairement à la violence de ma mère. Cette violence,
vous ne m'avez jamais fait sentir le moins du monde que vous en accusiez réception.
Je me souviens que vous m'avez proposé une interprétation de
mon instabilité
amoureuse et de mon célibat fréquent (au sens classique du terme et non dans
l'acception duchampienne [1]).
Vous avez suggéré que passé un certain stade je cherchais la petite bête pour
dévaloriser la personne aimée, ne pouvant me retrouver une situation amoureuse établie.
J'avais moi-même donné un exemple de ce type. Vous avez essayé d'en généraliser la portée. En réalité, mes célibats récurrents sont largement dus à une cause
sociologique. Cette cause sociologique est elle même placée dans une chaîne de causes tour
à tour psychiques et sociales.
Naviguant dans des milieux sociaux qui ne me convenaient
pas j'ai eu du mal à trouver une femme suffisamment en accord. Il m'est par ailleurs autant
ou plus qu'à quiconque possible de joindre familiarité tendre et ferveur érotique, et de
vivre cet agencement dans une durée.
Vous ne m'avez au fond apporté que très rarement une bribe de suggestion que j'aie pu
saisir avec profit. Si j'avais accepté de vous suivre vous m'auriez égaré plus d'une fois.
J'ai réagi vivement devant peut-être le
remake d'un complexe nodal.
Celui de me sentir nié lorsque je savais en savoir davantage que le
contradicteur piedestalisé, celui de me ressaisir ensuite en saisissant
l'Autre [2] dans le rôle de l'Imbécile.
Dans l'édition fondatrice
l'Autre était une mère.
Je ne vous résume pas du tout à une éventuelle imbécilité, pas plus que je ne me crois indemne de toute imbécilité. Est-il besoin de dire, au
passage, que je vois chez vous des qualités grandes et exemplaires ? Certaines qualités
constatées, d'autres que je ne peux percevoir ou imaginer que par conjecture, étant donné
votre compacité et votre discrétion. Quoi qu'il en soit, même si telles ou telles
de vos rares interventions étaient fausses elles m'ont permis de retravailler le thème que
vous me proposiez. J'ai pu ainsi aboutir à mes propres formulations. J'ai utilisé plusieurs
sujets que vous avanciez en les décantant de vos prédicats et en y associant les miens.
Psychanalyse : voie royale ?
Je ne suis plus aujourd'hui assez endommagé, blessé, déprécié, pour avoir le besoin
vital d'un psychanalyste, afin que la vie soit simplement vivable et assumable. Pour
continuer mon parcours de renforcement et d'apaisement je chercherai ailleurs,
je trouverai en moi-même.
D'ailleurs, pendant la période où je faisais passer mon processus de renouveau essentiellement par chez
vous, la cure avec vous ne m'empêchait pas de me prêter à d'autres inductions.
Je vous en ai fait part,
d'abord timidement, puis de plus en plus assuré. Il y avait en certaines productions
culturelles de puissants adjuvants pouvant être utiles à mon propos dans l'analyse.
Il s'agissait, par exemple, du corpus duchampien dont je vous ai maintes fois évoqué la
poétique quincaillerie et dont il m'est apparu, au fil même des séances, combien la
problématique et le vocabulaire pouvaient m'éclairer.
J'ai aussi fait en sens inverse jouer ma problématique, telle qu'elle se vivait dans le processus de
l'analyse, pour interpréter le matériau duchampien et tisser à partir de lui.
Œuvre en éclat, inachevée, disponible, offerte à mon usage, accueillante à mes propres
productions, forte de suggestions et d'accroches pour un désir d'existence et
de spéculation. "La Mariée mise à nue par ses Célibataires, même"
[3]. Mythe démystifiant, cathédrale inachevée, imparfaite et par là
même : moyen plus que parfait pour me saisir moi-même en y contribuant, et pour l'assimiler
en me pensant.
Le Grand Verre et toute l'œuvre de Duchamp forment le contraire d'une
"machine célibataire" : un dispositif de dialogue, une
instance en devenir pour moi-lecteur en devenir, lecteur de l'œuvre et lecteur de moi-même,
une ressource dans une méditation en écho.
L'analyse à été une occasion d'approcher Duchamp, Duchamp un moyen pour me saisir.
A contrario, vous m'êtes apparu comme un
"célibataire",
adepte de la psychanalyse vue comme nec plus ultra, comme pseudo absolu théorique
auquel vous adhériez "assez onaniquement". Et finalement, moi
"Mariée" je me suis refusé
"chaudement, pas chastement" à l'étreinte du
"célibataire" sous la figure duquel je vous voyais.
Jeu de rôle alchimique s'il en est, dont la logique voulait que j'en sorte pour ne pas
voir se transformer mes visites bi-hebdomadaires en
"buttoir de vie",
"rebondissement alternatif sur ce buttoir".
Pluralité des ressources : une technique peut trouver un auxiliaire et
un prolongement dans d'autres disciplines. Il faut qu'au bout du compte l'acteur de
la recherche, le patient impatient concerné en premier lieu, trouve son compte dans
un processus qui soit enfin du sur mesure et non du prêt-à-porter. Valeur
d'un bricolage qui ne saurait relever d'un patron unique ni d'une technique exclusive et
a priori supérieure aux autres.
A mon avis, les psychanalystes ont du mal à admettre
que leur institution (institution diffuse mais institution tout de même) n'est pas le
summum, ne constitue pas le terrain ultime et somptuairement supérieur pour les
âmes (les puissances) en quête d'elles-mêmes.
La psychanalyse a une double puissance. Une puissance
réelle... et une puissance de prestige. Face à celle-ci, les patients ont tendance à se
situer en "célibataires", dotant la psychanalyse et le
psychanalyste de la valeur excessive qu'attribue à
"La Mariée"
le désir satellite des "célibataires"...
Il existe une dialectique entre les deux puissances : le prestige
peut être un ferment
utile pour prendre au sérieux le processus dans un transfert moteur
[4]. Mais il doit,
ensuite, être vu comme une illusion à dépasser, une vision à
démystifier au cours du travail lui-même. Là est une clé du sérieux et de
l'émancipation :
se livrer à la psychanalyse mais la déparer de ses atours excessifs. Elle n'est qu'un moment
plus ou moins important dans la vie, et nullement indispensable dans toute vie, dans une
quête qui peut l'inclure, et parfois y trouver l'essentiel de sa nourriture, mais qui la
déborde. Elle marque globalement un moment dans l'histoire de l'émancipation humaine,
médaille légitimement
prestigieuse, mais qui n'est pas sans revers.
Il s'agit de remettre la psychanalyse à de
justes dimensions aux côtés d'autres pratiques d'auto-réforme, d'avènement subjectif,
de reconstitution de la puissance d'être. Je pense aux efforts de
transformation collective (à condition qu'ils se poursuivent dans une réflexivité critique,
hors du grégarisme et d'une posture psychique sécuritaire, dans un goût du risque et de
l'inconformité, hors du politiquement correct, hors de l'esprit des minorités qui font
reigner en leur sein la pression majoritaire du microcosme),
à l'érotisme, au mariage, à la prière (prière sans "Dieu" de préférence - comme
par exemple cela
peut advenir dans l'immersion dans certains sites naturels, à certaines heures, dans certaines
conditions...), à la poésie de
l'intensité...
J'imagine la plupart des psychanalystes eux-mêmes situés entre
un vécu
et une identité de
crise et une béatitude devant leur discipline-institution-monument-généalogie.
Disant
cela je n'oublie pas que l'essentiel de l'activité d'un psychanalyste digne de ce nom est
une attention modeste et sérieuse, fondamentalement pertinente, aux réalités tragiques,
grandioses ou dérisoires, épouvantables ou trop délectables, des personnes qui font appel
à eux.
Mais si les psychanalystes partagent béatement et trop respectueusement la croyance
en leur discipline, s'il transforment en religion ce qui devrait être le
meilleur antidote aux dominations, n'a-t-on pas là un avatar du grand Autre
transféré sur la psychanalyse elle-même ?
Cela révèlerait une position de satellites,
d'assujettis, de petits seigneurs ayant reçu en partage un fief culturel surestimé, cela me
justifierait à placer leur appartenance professionnelle non loin du
"cimetière des uniformes et des livrées",
cela me signalerait le caractère borné de leur imagination, leur fermeture d'esprit,
leur statut bon an mal an de
"machine célibataire", anonnant sur
"le buttoir de vie"
de leur institution.
A l'heure actuelle la psychanalyse peut sauver des vies, je le crois.
Je crois en l'importance des psychanalystes et des psychothérapeutes
comme pompiers d'urgence, régulateurs thermiques ou rebouteux a-minima
[5]. Au delà de la situation d'urgence ça marche encore
jusqu'à un certain point, mais lorsqu'il s'agit de voir un soleil supplémentaire :
j'ai des doutes.
Je crois vous avoir mis en porte à faux au cours de ma cure. J'aurais du mal à détailler
cette impression. Je pense que vous avez buté sur moi. Et, sans être excessivement buté -
car je vous crois souple, et sur un certain plan sans doute plus que moi -, votre
disponibilité ou votre intelligence en la matière ont montré leurs limites.
L'autoroute de l'interprétation a mené à une impasse. Après avoir constaté votre incapacité
à trouver une issue de secours j'ai quitté le jeu.
J'assume une part de responsabilité. Après tout, je n'ai pas pu transcender le blocage, que je
persiste à considérer toutefois comme essentiellement votre. Ma magie a encore des limites,
et pour longtemps je le crains. Je vous fais cependant grief. J'ai refusé
certaines de vos suggestions, mais j'ai attendu en vain que vous confirmiez vos positions
ou disiez votre erreur.
Flou, vous aviez perdu crédit. Je ne crois pas qu'il y ait eu impatience de ma part à
n'avoir pas attendu une hypothétique levée du brouillard. J'ai cru à cette intuition :
"la vraie vie est ailleurs". J'ai pu m'y fier et ne pas me perdre en atermoiements car,
précisément, j'avais fait avec vous cette étape de reconstitution qui
me donnait une nouvelle confiance en moi.
Le 9-9-2005, le Dr F. a écrit vv
Je réponds avec retard à votre lettre que j'ai trouvée seulement en rentrant de vacances.
De trouver votre adresse au dos de l'enveloppe m'incite à vous répondre en vous disant que j'ai été
touché par son contenu et son ton, ce qui m'incite à vous poser une question : croyez vous
vraiment que vous en ayez fini avec moi et la psychanalyse ?
Donnez-moi de vos nouvelles si vous le voulez quand vous le voulez.
Amicalement.
F.
|